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Il s’est mis à pleurer et m'a dit : “Je me souviens de vos yeux.”

Par NTD

Halleh Akbarnia est médecin et tout récemment, elle a publié un texte très bouleversant qui donne un bon aperçu du genre de situations avec lesquelles elle doit composer tous les jours, et ce, surtout depuis le début de la pandémie de la COVID-19. 

Voici donc une traduction du texte très touchant qu'il a partagé et vous comprendrez assez rapidement pourquoi Halleh a touché des milliers d'internautes.

"Je suis médecin urgentiste depuis près de 20 ans. J’ai travaillé à travers de nombreuses catastrophes, et je suis habitué à mon lot quotidien de crises cardiaques, de coups de feu, d'accidents vasculaires cérébraux, de cas de grippe, de traumatismes, et plus encore. Cela fait partie du quotidien dans mon domaine. Pourtant, la pandémie qui frappe présentement le monde m'a fait ressentir des émotions que je ne connaissais pas encore, alors que le seul réconfort que j'arrive à obtenir se trouve dans les visages empathiques de mes collègues qui passent par la même chose. 

Je suis reconnaissant pour leur présence, sachant qu’ils sont à la fois au sens propre comme au sens figuré avec moi, qu’ils comprennent et acceptent si profondément les risques que nous prenons chaque jour. J’espère aussi que mes amis et ma famille me pardonneront mon manque de présence pendant cette période, précisément lorsque nous avons le plus besoin l’un de l’autre, et qu’ils réalisent que leurs paroles, leurs encouragements et leurs petits gestes sont le carburant qui m'aide à surmonter chaque journée. C’est une histoire pour nous tous.

J’ai rencontré mon patient, M. C, lors de mon premier véritable quart de travail "pandémique", alors que ce que nous voyions ce jour-là, c’était ce à quoi nous nous préparions. Il présentait les symptômes classiques, ses résultats de rayons X, ses faibles niveaux d’oxygène... nous indiquaient qu'il souffrait de ce que nous craignions. Et c’était le plus bel homme que j’avais rencontré depuis longtemps. Même s'il avait de la difficulté à respirer, il n’arrêtait pas de demander si nous avions besoin de quelque chose, et que tout irait bien. Il nous a dit qu’il était enseignant, mais qu’il apprenait tellement de nous, et combien il respectait ce que nous faisions. Le contraire ne pouvait pas être plus vrai.

Nous avons dû décider combien de temps nous tenterions de le laisser lutter contre le manque d'oxygène avant d’avoir besoin de l’intuber. Ses niveaux n’arrêtaient pas de baisser et malgré tous nos efforts, il était temps de le mettre sous respirateur. Il nous a dit qu’il ne se sentait pas bien à ce sujet. Il a ajouté: "Mais Doc, je vous fais confiance et je laisse mon destin entre vos mains." 

Un sentiment de malaise s'est fait ressentir dans mon estomac à ce moment-là. Mais lui, avec sa voix ferme de professeur, m’a aidé à m'accrocher à la réalité, là où je devais être. J’ai vu ses yeux me regarder, voir la gentillesse en eux, puis nous l'avons plongé dans un état de sommeil. Dire qu’il s’agissait d’une intubation "facile" est un euphémisme. Ce n’était pas le cas. Il a failli nous quitter plusieurs fois au cours de ces premières minutes, mais il n’arrêtait pas de revenir. On s’est battus pour le garder avec nous. La patience et la force de mon équipe ce jour-là, vraiment remarquable.

Je l’ai remis à mon amie et collègue, le Dr Beth Ginsburg, et son équipe aux soins intensifs. Et puis pendant les douze jours suivants, j’ai attendu et suivi ses progrès, alors que je savais très bien les statistiques, et à quel point il était malade lorsqu'il était arrivé à nous. Ils ont fait leur magie, et hier, on a pu enlever le tube qui se trouvait dans mon nouvel ami M. C. J’ai décidé d’aller le rencontrer à nouveau.

M. C était dans l’unité réservée aux patients atteints de la  COVID-19, en convalescence, sans famille. Personne n’a été autorisé à lui rendre visite; pire encore, sa femme était seule à la maison en isolement depuis 14 jours, aussi. Mon cœur s'est brisé en pensant à ce que cette épreuve a dû être pour elle. Je suis prudemment entré dans sa chambre, j'ai enfilé mon EPI, et quand il m’a vu, il s’est arrêté une seconde. Un moment de reconnaissance.

Je me suis présenté. "Je suis le Dr Akbarnia, M. C. Je suis la dernière personne que vous avez vue à l'unité d'urgence. Vous m'avez dit que vous nous faisiez confiance pour vous emmener de ce côté. On dirait que vous avez fait très bien." 

Il s’est mis à pleurer. Il a dit : "Je me souviens de tes yeux." Et j’ai commencé à pleurer. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’à ce moment-là, j’ai réalisé que nous faisons ce que nous faisons exactement pour des gens comme lui, pour des moments comme ceux-ci. Sa force, sa gentillesse, ses paroles apaisantes pour moi signifiaient tout. À ce moment-là, mon cœur (qui battait à plus de 100 battements par minute depuis le début de cette pandémie) s’est finalement ralenti.

Je me suis assis et on a parlé. Je lui ai dit que pendant qu’il est ici, nous sommes sa famille. Il aura toujours sa place dans mon cœur. Et qu’il le sache ou non, il sera mon guerrier silencieux, COVID ou non. Il va m’alimenter jusqu’au jour où je raccrocherai mon stéthoscope."

Source: Love That Matters · Crédit Photo: Capture d'écran